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Cornet à dés, cubisme, cubisme en poésie, demoiselles d'Avignon, Max Jacob, poème en prose
Non non… contrairement aux idées reçues, le cubisme ne se trouve pas qu’en peinture…on le trouve également en poésie…chez celui qu’on a appelé » Max le prestigitateur » ou » Max le Clown » et que Michel Leiris qualifiera de « grand poète sous sa défroque bigarrée d’arlequin « … Chacun l’a compris, il s’agit bien de Max Jacob… dont personnellement je regrette qu’on ait « mis aux oubliettes » une poésie d’une telle fraicheur, d’une telle originalité, d’une simple Beauté… Max est ce jongleur qui me fait rire, cet enfant qui réinvente le monde puisque le nôtre marche de travers, par son humour farfelu, sa poésie de l’inapproprié, il nous fait un pied de nez, et nous renvoie notre image, nous qui marchons en crabe. Max Jacob est donc pour moi non seulement un démystificateur, un mystique, mais aussi un magicien… L’univers devient non-univers, décrit comme ce qu’il n’est pas. A bien suivre son illogique logique… je ne suis pas ce que j’ai l’apparence d’être ( merci Max, car justement ça m’arrange….) et ce dont je n’ai pas l’air, je le suis.
Son » aventure poétique » nait de la découverte cubiste. Dans le domaine pictural, les Demoiselles d’Avignon signifient une énorme conquête dans le sens de la liberté du peintre: abandon de la perspective, abandon du clair-obscur qui donnait volume aux objets, rejet donc de toute convention, de tout trompe l’oeil.
La peinture n’est plus une fenêtre ouverte sur le monde ; l’invention pure s’affirme contre la reproduction de la nature : l’objet est présenté comme si quelque spectateur idéal, affranchi de la pesanteur, tournait autour de lui. Il ne s’agit plus d’évoquer l’espace de notre terre, l’horizon, les étoiles, mais un espace illimité, libéré de nos habitudes de pesanteur et d’orientation.
Le cubisme de Max Jacob se présente dans la poétique qui est la sienne, à savoir la poétique de la « transplantation »… Une « marge » doit séparer le poème de la terre, » l’entourer de silence » : car » Surprendre est peu de chose, il faut transplanter » ( Préface du Cornet à dés) L’oeuvre est donc éloignée du sujet, pour vivre d’une vie autonome, échappant au système de références reconnu par le lecteur. Contre le subjectivisme symboliste, et rejoingnant l’investigation cubiste, les poèmes jacobiens ne sont plus le reflet, l’imitation du monde naturel, son interprétation ou sa transcription… mais des objets, au même titre que ceux qui peuplent le réel.
Le but cubiste, c’était d’ » arriver au réel par des moyens non réalistes. » La démarche des peintres, conduisant à un refus de la figuration, aboutit chez Jacob à un refus de la suprématie du sens, l’idée doit » se faire excuser » ; le poème en prose présente un monde autarcique, »situé » , ménageant l’éloignement nécessaire pour que nous nous sentions attirés hors de notre univers.
Appel des images entre elles, anti-conformisme, voilà les caractéristiques de l’écriture de celui qui est conscient de son risque d »hermétisme. » On m’a reproché d’être incompréhensible » … c’est l’aveu de celui qui sait que nous, lecteurs, allons être désemparés par l’impression première de banalité, par l’intrusion de moyens jugés impertinents, car Max écrit des poèmes qui ne sont pas ce que l’on attend qu’un poème soit.
L’esthétique jacobienne, c’est donc celle qui peut n’être définie que par la négative: c’est l’écriture du refus, refus du sujet, refus du genre, refus de tout ce qui suggère un ordre préétabli, refus de tout message dont la poésie serait le véhicule, suppression de l’âme et du coeur… Laissant l’initiative aux mots, Max est le poète de » l’anti-poésie ». C’est dire que notre lecture est une anti-lecture…
Marine Azencott (écrit le 21 juin 2005)