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Qu’est-ce que l’utopie ? Préalable à toute tentative de réflexion pertinente sur le sujet, le problème de définition s’avère aussi épineux qu’irrésolu. Le mot « utopie » , lié à l’expérience de la modernité et appelé à devenir un genre littéraire, est lié au petit livre d’un humaniste anglais ami d’Erasme, Thomas More.

Utopia, c’est u – aucun , topos – lieu. Utopia se réfère donc au pays de nulle part, au pays qui n’existe pas ; mais l’expression semble aussi se référer à un lieu heureux : eutopos. Telle est l’origine de ce mot que l’on tient de chimère.

L’acception vulgaire fait de l’utopie « un idéal politique ou social séduisant, mais irréalisable dans lequel on ne tient pas compte des faits réels, de la nature de l’homme et des conditions de la vie » (Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie).

L’utopie serait donc synonyme de rêve impossible, faisant être ce qui n’existe pas ailleurs que dans le nulle part. Ce qui n’existe pas, dans la société moderne, c’est le bien-être, le bonheur de ses membres, bonheur qu’il ne serait théoriquement pas impossible d’atteindre si l’on avait le courage de quitter son propre monde, et d’aborder après un long voyage cette île, irréelle et toutefois possible, qui contraint à redéfinir l’éthique et la politique, comme l’Amérique l’a fait pour la géographie.

Les problématiques soulevées sont donc les suivantes :

– L’utopie entretient un rapport ambigu à l’espace et au temps :

L’utopie comme non-lieu : coupée du monde, l’utopie est insituable et ouvre la voie à une géographie imaginaire, mise au service, comme on le verra, de la philosophie politique et d’une critique sociale.

– Il convient également de s’interroger sur le rapport que l’utopie entretient avec la fiction, avec déjà une difficulté : Platon, dans la République X condamne le poète imitateur d’une réalité elle-même déjà trompeuse. Comment concilier cela avec son projet de cité idéale ? Il y aurait donc un bon usage du « fictionnel » dans l’utopie. En tant qu’elle instaure un ordre parfait, l’utopie pourrait avoir une fonction régulatrice.

– Une autre problématique sera celle d’un glissement, le passage de l’utopie comme histoire, récit d’une société idéale dont il s’agira de préciser les modalités ; à l’Histoire comme lieu d’utopie. Quel est le lien qu’entretient l’utopie avec le possible et le réel ? La question est de savoir si l’on peut réformer sans imaginaire, et s’il faut tirer une leçon de l’Histoire, c’est que l’utopie, loin d’être toujours un Eden peut devenir un Enfer : par l’exigence d’un idéal, l’utopie est menacée d’être carcérale. Et quand on fait le procès de l’utopie, on dit que l’idéal concentrationnaire est la réalisation de l’utopie. Comment donc passe-t-on de la fiction-imaginaire qui libère, à l’utopie qui aliène ? L’utopie est-elle par essence totalitaire, ou peut-elle constituer un puissant contrepoids à l’idéologie ? Faut-il abandonner définitivement les utopies, ou bien celles-ci ne sont pas la figure et la posture même qu’adopte la philosophie ?

Suite à venir …  (Rendez-vous sur la catégorie  » L’utopie », créée pour l’occasion !).