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Le chemin du philosophe

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De l’apprivoisement – un brin d’instantané de pensée

Vedette

Posted by lecheminduphilosophe in Dire et penser l'amour, Les instantanés de pensée

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apprivoisement, apprivoiser un homme, apprivoiser un oiseau, porosité

Apprivoiser un homme, c’est comme apprivoiser le monde, il faut du temps, il faut du coeur, il faut de la patience. Le monde crée en moi le lieu de son accueil. Avoir cette vertu de porosité, ce quiétisme du sentir, ne projeter sur lui ni sa curiosité, ni son désir. L’attendre comme on attend que près de vous l’oiseau se pose. Adopter cette attitude de passivité, de repos, de détente, d’ouverture, en ayant cette volonté de ne pas provoquer de l’extérieur. Faire en soi le vide, et le laisser venir. Doucement.

Avez-vous déjà apprivoisé un oiseau ? Il y a ceux qui piègent les oiseaux, et ceux qui les laissent venir. Il y a ceux qui contraignent, et ceux qui respectent. C’est une erreur que de vouloir s’approprier un peu de la beauté qui peuple le bleu du ciel. Parce que la beauté se donne, et ne se dérobe pas. Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres. Parce qu’il aima les oiseaux, l’homme inventa les cages.

Je n’ai pas connu mon grand-père. Alors je l’ai rêvé. J’ai rêvé qu’il était oiseleur. Le grand-père dont j’ai refait la légende, aurait possédé tout un attirail pour capturer les oiseaux : des filets qu’il aurait confectionnés lui-même, des lacets de crin de cheval montés sur une tige en bois, et de nombreux appeaux. J’ai vu mon grand-père imiter les notes flûtées et harmonieuses de la grive. J’ai assisté avec lui à la pose des pièges, des filets dans les rangées de souches de vigne, pour neutraliser l’alouette dans ses mailles. J’ai vu, dans un sillon garni de grains, mon grand père placer à intervalles réguliers des lacets qui se confondaient avec la terre et l’herbe pour attraper différents passereaux. A ses côtés, le nez au ciel, j’ai refait mon enfance ainsi que ma légende. Mon grand-père aurait été un monsieur tout le monde. Car nous sommes tous des oiseleurs, des voleurs d’amour aux mille appeaux. Nous pensons que, n’étant pas dignes d’être aimés, il va nous falloir forcer la porte. Et, un jour, un oiseau vient de lui-même, pour quelques misérables graines alors que le jardin en regorge. D’un simple battement d’aile, fantasque, fragile et vulnérable, il allège notre existence du poids de son insolente absurdité : lui, ose risquer sa vie pour une rencontre… Je remercie les oiseaux pour ce don qu’ils nous font en nous laissant les observer. Parmi eux j’ai oublié de vouloir être ailleurs.

Marine Azencott

Au sujet de la « joie spacieuse »…

06 samedi Juin 2009

Posted by lecheminduphilosophe in Dire et penser l'amour, philosophie du corps

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dilatation du coeur, Jean-Louis Chrétien, joie spacieuse

J’écrirai bientôt un article sur ce qui me semble particulièrement « génial » (il n’y a pas d’autre mot) dans ce beau livre et ce qu’il m’inspire. Mais en attendant, je reproduis ici les propos de Jean-Louis Chrétien dans un entretien qui présente une synthèse, mais qui a aussi le défaut de cette qualité : nous laisser un peu sur notre faim, avec cette curiosité piquée, cette sensation de manque, et l’envie inouie de se replonger à nouveau dans ce livre, qui emprunt de magie nous explique comment la venue phénoménale de la joie est une dilatation du coeur, une extension, une ouverture de l’être rendu plus large, plus vivant et plus fort et par laquelle l’existence parait prendre une autre dimension.

La joie spacieuse

Entretien avec Jean-Louis Chrétien recueilli par Robert Maggiori, tiré de Libération du 1.2.2007

Si, de La Joie spacieuse, on ne lisait que le sous-titre (Essai sur la dilatation), on pourrait penser à un traité sur les métaux…

Ce n’est pas au sens physique que j’ai pris dilatation. Et mon point de départ n’a pas été le mot dilatation tout seul, mais l’expression “dilatation du cœur”, dilatatio cordis, une expression biblique qui a eu un poids immense dans l’histoire des langues européennes, avant d’entrer dans des contextes tout à fait profanes, par exemple chez Madame de Sévigné, Hugo ou Flaubert. Je fais l’histoire de ce mot, un mot particulièrement fort qui dit l’élargissement de l’espace, dont on ne sait pas d’abord s’il est celui du dedans ou du dehors. Dans la joie, il est les deux : tout est plus large parce que je m’élargis et je m’élargis parce que le monde s’ouvre davantage. Il peut paraître singulier d’aborder la question de la joie comme amplification, crue de l’espace et de l’existence, en prenant comme fil conducteur juste un mot. Mais c’est ma méthode : chercher un point d’appui extrêmement précis qui donne accès à une certaine continuité d’écrits et de traditions, et qui permette d’interroger avec rigueur une question beaucoup plus générale. Comme philosophe et poète, je crois au poids du destin d’un mot. Or ce terme de dilaté à quelque chose de dilaté lui-même, puisque vous le trouvez dans la spiritualité, dans la théologie, dans la poésie, la littérature, la philosophie, et chez les auteurs les plus divers.

La joie est dilatation. Tout malaise ou mal-être est-il rétrécissement, contraction ?

Le contraire de la dilatation, c’est en effet le resserrement, la constriction. On sait bien que dans les crises d’angoisse, les gens se resserrent sur eux-mêmes, se recroquevillent. Mais le mouvement compte ici plus que le fait d’être étroit et large. Dès que les possibilités ouvertes se ferment, dès qu’elles commencent à se rétrécir, ne fût-ce qu’un peu, la tristesse et l’angoisse apparaissent. A l’inverse, même si on est dans une situation terrible, voilà un tout petit rien, un détail qui ouvre la porte de mon cœur, et c’est déjà la joie.

Tout ceci peut être décrit de façon psychologique. Pourquoi n’avez-vous pas emprunté cette perspective-là ?

Ce n’est pas du tout une exclusion a priori de la psychologie. Mais mon souci est de donner un cadre descriptif et conceptuel plus large – dans lequel on peut faire entrer des cas psychologiques, qui ne relèvent pas de ma compétence. J’essaye, dans une perspective phénoménologique, de penser la dilatation dans des dimensions encore plus générales, auxquelles donne un accès le langage des poètes ou des mystiques, mais qui sont orientés par une des oppositions les plus anciennes de la pensée grecque, entre peras et apeiron,  la limite et l’illimité. Jusqu’où peut-on s’élargir ? Un élargissement qui n’aurait absolument aucune contre-puissance de limitation devient folie : on a l’exemple en psychiatrie dans la manie, l’espace maniaque. La joie n’est pas maniaque, et la manie n’est pas joyeuse . Il faut qu’il y ait un rythme, comme celui du cœur, diastolique et systolique, de puissance et de contre-puissance, d’infini et de défini, pour éviter l’explosion dans le délire de toute-puissance. Pour les auteurs religieux, dont je traite dans la première partie, la joie est joie devant Dieu, donc une joie qui nous rappelle toujours notre condition de finitude. Cette limite fait qu’elle ne devient pas folle. De la même façon, une joie toute profane trouve son principe de limitation dans des conduites ou des soucis envers les autres, qui évitent l’expansion infinie du moi.

Qu’auriez-vous “raté” si vous n’aviez fait qu’une histoire des conceptions philosophiques de la joie ?

Ce que j’aurais manqué, c’est la joie elle-même, la dimension descriptive, proprement phénoménale, de la joie. Pour voir si une définition de la joie est juste ou non, il ne suffit pas de la comparer aux définitions qui la précèdent, qu’elle modifie ou corrige. Il faut pouvoir la confronter au phénomène de la joie lui-même. C’est lui que j’ai voulu décrire.

Est-ce que cette expérience de la joie-dilatation présuppose la présence de Dieu, et ne peut donc être décrite que par des auteurs religieux ?

Le fait que, dans la pensée de la joie, il y ait cette dimension de la dilatation du cœur renvoie assurément à la conception biblique du cœur, qui n’est d’ailleurs pas seulement la volonté et l’affectivité mais aussi bien l’intelligence. Son sens pénètre ensuite le langage de tout le monde, et d’auteurs qui ne sont pas religieux et qui ne parlent nullement de joie devant Dieu. C’est une sécularisation, une laïcisation de ce vocabulaire de la dilatation du cœur. Descartes, par exemple, définit la joie comme dilatation, mais celle-ci est corporelle, elle est une vasodilatation, relative à la circulation sanguine. Au XIXe siècle, la signification physique de dilatation – d’un métal, des pupilles, des narines – est beaucoup plus fréquente que sa signification joyeuse.

Le choix de vos auteurs, presque tous des mystiques, ne risque-t-il pas de laisser entendre qu’il n’y a de joie que dans des dimensions extrêmes, mystiques justement ?

Comme contre-point, ou indicateur chimique qui vient de quelqu’un qui voudrait la dilatation mais n’y arrive pas, je parle par exemple d’Amiel et de ses tourments, ou bien de cas, qu’on peut trouver chez Camus ou Yves Bonnefoy, où la dilatation devient la question qui fait souffrir toute la vie… Je ne dirais pas que toute joie est mystique. Mais toute joie est surcroît, excès. Si vous avez tout ce que vous voulez, si tout va bien, c’est le contentement, la satisfaction, peut-être le plaisir, mais pas la joie. Dans la joie, il y a un plus, un trop, un débordement, un mouvement hors de soi, qui fait qu’elle peut évidemment être vécue par tout le monde mais ne saurait être dite dans sa démesure que par une parole elle-même portée par l’excès et démesurée. Cette parole est celle des poètes, des mystiques, des spirituels, et non pas une parole réglée, géométrique, démonstrative. Les définitions de la joie ne sont pas joyeuses.

En quoi la dilatation ne serait-elle que le signe de la joie ? Qu’est-ce qui la distingue de celle qui opère dans la vanité, par exemple, ou l’arrogance, la fierté, l’emprise, le désir de domination et de captation de l’autre ?

Toute crue n’est pas une crue de joie. Déjà chez les auteurs les plus anciens que j’aborde, saint Augustin ou saint Grégoire le Grand, il y a une bonne et une mauvaise dilatation : celle de la joie, de l’espérance et de l’amour, et celle de l’orgueil. Quel est le critère phénoménologique pour différencier les deux ? C’est là que la considération du monde, de l’espace du monde, est importante. Dans la joie, ce n’est pas moi qui me gonfle tel un ballon, car là toutes les possibilités que vous évoquiez peuvent être en jeu. Mais c’est d’une certaine façon du monde lui-même que vient précisément cette expansion. Je ne peux m’étendre que parce que, tout à coup, l’ouverture du monde est plus grande, qu’un chemin s’ouvre là où tout paraissait fermé. La joie n’est pas une auto-affection. Le destin de la vanité, de l’enflure, de l’orgueil, est toujours de trouver quelque chose qui va les crever, comme une baudruche. Le vaniteux s’enfle, mais le monde n’en est pas transformé, c’est pourquoi il y a quelque chose d’illusoire, de pathétique, voire de cruel dans une telle expansion. Le critère, c’est justement l’articulation de ma joie, l’accord de ma joie au caractère soudain joyeux du monde. On voit d’ailleurs qu’il ne peut pas y avoir de poésie authentiquement amoureuse qui ne s’accompagne d’un chant du monde, alors que, dans l’orgueil ou l’arrogance, on voudrait modeler le monde d’après ce qu’on est soi-même devenu. Voilà la différence. Là on a une sorte d’initiative, tandis que la joie, même si elle est la plus intime, est toujours accueil, hospitalité – soit l’hospitalité à Dieu en nous, pour les mystiques, soit l’hospitalité à l’autre, à un visage du monde, à une lumière qui vous saisit, un tableau, un air de musique, un sourire d’enfant, une promenade. Par définition, la joie ne peut pas être déclenchée par nous-même, alors qu’on nourrit son orgueil avec son propre combustible, comme on remplit une cheminée, on peut toujours en mettre plus. La joie a quelque chose de donné. On peut se forcer à rire ou à faire bon visage, mais on ne peut pas déclencher sa joie. A la limite, il y a des rires auto-induits, il y a même des gens qui font ça comme thérapie, ils éclatent de rire pendant une heure, mais on ne peut pas se rendre joyeux, on peut simplement  se tenir disponible à la joie. Etre joyeux, au fond, c’est “se faire avoir”, se laisser prendre par l’évènement du monde et d’autrui. L’arrogance est autophage, elle ne rencontre jamais l’altérité, elle la soumet, la maîtrise, la nie, l’interdit, et ne se donne donc que des “fausses joies”.

A quoi tient la joie intellectuelle ?

Elle n’est pas la joie de se sentir plus puissant. C’est la joie qu’on éprouve devant le monde : là où on ne comprenait pas, où on ne voyait pas, tout à coup on comprend quelque chose qui était incompréhensible, et des possibles apparaissent. La joie intellectuelle, c’est la joie des tâches nouvelles qui nous sont données et qu’on ne soupçonnait pas auparavant. On peut avoir une pile de livres par soi écrits devant soi, si notre intelligence s’y est épuisée, ce n’est pas du tout joyeux, il y a comme une pesanteur qui retombe sur nous. La joie intellectuelle, c’est la joie de comprendre comment on va faire pour comprendre plus. Il s’agit bien alors d’une dilatation. L’espace du pensable s’élargit.

Mais la joie n’est-elle pas décevante, ne serait-ce que parce qu’elle est éphémère ?

Par essence, la joie ne peut pas être décevante, parce qu’elle a quelque chose d’inopiné, d’inattendu, que je n’ai pu anticiper. Peut-être je m’attendais à éprouver de la joie, mais pas à éprouver cette joie-là. On peut être déçu par un plaisir, un plaisir répété, mais pas par la joie, car être déçu suppose une mesure préalable de ce à quoi on s’attend et le constat que ce que l’on reçoit est en dessous, est plus petit ou moins bien que la mesure qu’on avait fixée. Mais, quand la démesure s’empare de nous. Il ne peut y avoir de déception.

Vous parlez de joie, d’espérance, d’amour… Mais, si on ouvre une fenêtre sur le monde, on ne voit qu’injustices, violences, guerres…

Il est arrivé qu’on dise que, dans mes écrits, il n’y a pas suffisamment la présence du négatif, pas de confrontation assez aiguë avec le nihilisme et le désespoir qui nous entourent. D’abord je ne pense pas que je n’en parle jamais. Je suis chrétien, et le signe de la croix renvoie au supplice et à la souffrance. C’est toujours sur fond de souffrance que l’espoir apparaît. Mais le désespoir est si profond aujourd’hui – d’autant plus profond qu’il ne se voit pas comme désespoir, eût dit Kierkegaard – que notre tâche d’écrivain ou de professeur ne peut pas être d’écrire ou d’enseigner qu’il n’y a pas d’issue. Cela ne signifie pas qu’il faille nier quoi que ce soit, ni se réfugier dans des propos lénifiants ou édifiants. Mais être professeur de désespoir, c’est être professeur de malheur et de suicide, ce qui, dans aucune conception de la philosophie, quelle qu’elle soit, ne peut être une mission. Parler d’espérance ou de joie, ce n’est pas faire l’autruche par rapport au nihilisme, c’est, dans une toute petite mesure, lui répondre. Si la seule chose que j’avais à dire, c’est que tout est perdu, je me tairais.

Du sens de la phrase : « Je t’aime comme personne ne t’a jamais aimé, et personne ne pourra t’aimer comme je t’aime. »

25 mercredi Mar 2009

Posted by lecheminduphilosophe in Dire et penser l'amour, Les instantanés de pensée

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amour, narcissisme

Et bla bla bla…

 

Au fond la phrase a quelque chose d’inquiétant. De deux choses l’une : ou bien cet amour là n’est pas humain, ou bien il est fort peu de chose : Car l’Amour est toujours antérieur à notre amour. L’Amour est antérieur à notre parole d’amour, il n’est pas synchronique mais diachronique. Toujours il nous a précédés. C’est aimer bien peu l’autre que de ravaler l’Amour à notre petit amour, à notre échelle. Déjà parce qu’aimer l’autre, c’est accepter qu’il ait eu un passé, une histoire, c’est aimer le tissu d’histoires que l’autre est. Il y a eu un « avant » son « être-avec-moi », et il y aura peut-être, que cela me plaise ou non, un « après-avoir-été-avec-moi ». Parce que la vie ne s’arrête pas quand notre amour s’arrête. Dire « je t’aime comme personne ne t’a jamais aimé », c’est donc occulter le passé de l’autre. Et ce n’est pas aimer, que refuser l’Histoire qu’est celui que j’aime. Je voudrais être le seul, la seule à l’avoir aimé. Je voudrais être indispensable. Mais force est de constater que l’amour me précède. Qu’eu égard à lui, mon existence n’est rien. Le monde ne m’a pas attendu pour créer l’Amour. L’Amour est antérieur à mon amour, l’amour me précède, comme le monde me précède. Cet amour là est folie, parce qu’il est jaloux d’un passé, de tous ceux qui m’ont précédé, de tous les possibles dont je n’ai pas fait partie. Il est dès lors impossible pour moi (parce qu’irreprésentables, les expériences qui ne sont pas miennes deviennent inconcevables) que quelqu’un avant moi, ait pu aimer mon amoureux au moins autant que moi. Il est inacceptable pour moi que je puisse n’être pas l’alpha et l’oméga du bonheur de l’autre. Parce que si l’autre a été heureux avant moi, c’est précisément que mon amour ne lui a pas été de tout temps essentiel : si ne me connaissant pas il a su vivre sans moi, une cruelle idée s’impose : l’autre saurait se passer de moi. Après moi le déluge ? Oui mais au déluge réduisant en ténèbres tout ce qui avait été lumineux, succédera un nouveau soleil. « Un seul être nous manque et tout est dépeuplé », mais le naufrage de l’amour ne peut qu’admettre que le rivage est proche, et nous accosterons un jour pour repeupler le monde. L’Amour antérieur à nous ne s’arrête pas avec nous. Antérieur à moi, postérieur à moi, hors de moi, l’Amour est hors du temps. Et quand bien même je ne me « remettrai pas » du départ de l’autre, signant l’échec et la fin de notre amour, l’amour lui se remettra toujours. Parce que l’amour n’est pas une chose humaine, il est, si l’on préfère, cette chose tellement humaine, qu’il se situe toujours au-delà ou en-deçà de moi, l’amour est indifférent à ma souffrance individuelle ; atomique, ma souffrance est relative, elle n’est que peu chose : à lui seul un atome ne saurait peupler tout l’univers. Alors l’amour nous jette dans l’effroi, et l’effroyable amour souffrant de la peur démesurée du délaissement de s’écrier : « Personne ne t’aimera jamais comme je t’aime. ». Mais l’amour démesurément inquiet qu’est cet amour-là n’est pas plus l’amour que ne l’était le précédent amour, l’amour-négation du passé de l’autre.

Dire : « Je t’aime comme personne ne t’a jamais aimé, et personne ne pourra t’aimer comme je t’aime. », c’est doublement ne pas aimer. C’est commettre une double faute : pécher par orgueil, et pécher par peur. Et la peur et l’orgueil sont des manquements à ce que l’amour est. En somme, en niant le passé de l’autre, en faisant comme si j’avais été de tout temps le sujet de sa quête, l’objet de toutes ses attentions, je nie l’autre et nie mon amour pour lui. L’amour jaloux est un amour égoïste. Dire « je t’aime comme personne ne t’a jamais aimé », c’est avouer qu’au fond, ce que j’aime c’est mon amour pour toi, j’aime mon amour plus que je ne t’aime toi-même. J’aime la sensation que la solitude de mon amour procure, et m’aime moi-même à travers l’amour de l’autre. L’amour qui veut faire croire qu’il aime comme personne n’a auparavant jamais aimé est un amour centripète, narcissique. Cet amour-là n’est pas l’amour, il en est même la négation. L’amour donne et se donne. Il n’attend pas de retour, pas de reconnaissance. Il ne se justifie pas, et n’attend pas de l’autre que l’autre reconnaisse la démesure et le caractère inouï, hypostatique, de mon amour pour lui. L’amour qui aime vraiment n’est tiraillé ni par le futur, ni par le passé, il est donation présente, confiance synthétisante et nue. Pour lui le passé n’est pas un problème et le futur ne fait pas question, il n’adresse pas de reproches et en cela est irréprochable, la jalousie ne l’atteint plus, il n’est pas triste de n’être pas premier, il ne refuse nullement à l’autre un avenir qu’il est libre de faire advenir, il ne se nourrit pas d’immobilisme et d’absence de vie de l’autre, il est l’amour, et parce qu’il l’est, il aime et n’isole pas.

Marine Azencott

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